Le roman d’un enfant by Pierre Loti

Le roman d’un enfant by Pierre Loti

Auteur:Pierre Loti
Format: epub


XXXV

C’est vers le moment où j’en suis rendu, – ma onzième année environ, – que se place l’apparition d’une nouvelle petite amie, appelée à être bientôt en très haute faveur enfantine auprès de moi. (Antoinette avait quitté le pays ; Véronique était oubliée.)

Elle s’appelait Jeanne et elle était d’une famille d’officiers de marine liée à la nôtre, comme celle des D***, depuis un bon siècle. Son aîné de deux ou trois ans, je n’avais guère pris garde à elle au début, la trouvant trop bébé sans doute.

Elle avait d’ailleurs commencé par montrer une petite figure de chat très drôle ; impossible de savoir ce qui sortirait de son minois trop fin, impossible de deviner si elle serait vilaine ou jolie ; puis, bientôt, elle passa par une certaine gentillesse, et finit par devenir tout à fait mignonne et charmante sur ses huit ou dix ans. Très malicieuse, aussi sociable que j’étais sauvage ; aussi lancée dans les bals et les soirées d’enfants que j’en étais tenu à l’écart, elle me semblait alors posséder le dernier mot de l’élégance mondaine et de la coquetterie comme il faut.

Et malgré la grande intimité de nos familles, il était manifeste que ses parents voyaient nos relations d’un mauvais œil, trouvant mal à propos sans doute qu’elle eût pour camarade un garçon. J’en souffrais beaucoup, et, les impressions des enfants sont si vives et si persistantes, qu’il a fallu des années passées, il a fallu que je devinsse presque un jeune homme pour pardonner à son père et à sa mère les humiliations que j’en avais ressenties.

Il en résultait pour moi un désir d’autant plus grand d’être admis à jouer avec elle. Et elle, alors, sentant cela, faisait sa petite princesse inaccessible de contes de fées ; raillait impitoyablement mes timidités, mes gaucheries de maintien, mes entrées manquées dans des salons ; c’était entre nous un échange de pointes très comiques, ou d’impayables petites galanteries.

Quand j’étais invité à passer une journée chez elle, j’en jouissais à l’avance, mais j’en avais généralement des déboires après, car je commettais toujours des maladresses dans cette famille, où je me sentais incompris. Et chaque fois que je voulais l’avoir à dîner à la maison, il fallait que ce fût négocié de longue main par grand-tante Berthe, qui faisait autorité chez ses parents.

Or, un jour qu’elle revenait de Paris, cette petite Jeanne me conta avec admiration la féerie de Peau-d’ne qu’elle avait vu jouer.

Elle ne perdit pas son temps, cette fois-là, car Peau-d’ne devait m’occuper pendant quatre ou cinq années, me prendre les heures les plus précieuses que j’aie jamais gaspillées dans le cours de mon existence.

En effet, nous conçûmes ensemble l’idée de monter cela sur un théâtre qui m’appartenait. Cette Peau-d’ne nous rapprocha beaucoup. Et, peu à peu, ce projet atteignit dans nos têtes des proportions gigantesques ; il grandit, grandit pendant des mois et des mois, nous amusant toujours plus, à mesure que nos moyens d’exécution se perfectionnaient. Nous brossions de fantastiques décors ; nous habillions, pour les défilés, d’innombrables petites poupées.



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